Comme les sites de lancement, ceux de stockage vont suivre une évolution liée à l'architecture des bases mais surtout aux conditions tactiques.
A - Les Versorgungsstellen : Construits avec, et pour les sites de la première génération, dits « en ski », ils sont au nombre de huit et suivent la même répartition géographique. Dans le sens horaire, on trouve ainsi : Renescure, Sautricourt, Beauvoir, Domléger, Neuville-au-Bois, Saint-Martin-l'Hortier, Biennais et Valognes
Chacun de ces sites dessert huit bases opérationnelles et doit donc avoir une capacité journalière théorique de 160 V1, mais pratique, de 250, exception faite de Valognes, limité à 200. En compensation toutefois, un neuvième site, de la même capacité, est construit à Bricquebecq. Tous ces centres de stockage ont pour point commun d'être situés à proximité d'une voie ferrée et au plus près du centre de gravité des sites à desservir. Précisément, une déviation de cette voie ferrée aborde le stockage pour y longer une piste rectiligne, le tout, ponctué de ponts-transbordeurs permettant de décharger les wagons .
Les bâtiments purement destinés au stockage ont une architecture très semblable à celle des bases « en ski » de la même génération, c'est-à-dire avec des murs de 80 cm type « sandwich » en parpaings, avec couverture de béton. Ceux-ci sont bien souvent surmontés d'une toiture de camouflage à caractère civil. Pour ne pas présenter un aspect trop régulier dans le repérage aérien, ces bâtiments ont donc des dimensions et des formes très différentes . Cela joue sur la capacité d'accueil qui peut ainsi notablement varier. Tous ces ouvrages sont reliés par des pistes bétonnées qui donnent accès au réseau routier. Essentiellement destinés à la réception, ces bâtiments peuvent aussi intégrer un atelier pour la préparation, voire la réparation. Un monorail avec palan en parcourt alors le plafond. Les Versorgungsstellen comportent aussi, en nombre plus limité, des ouvrages à la fonction plus spécifique.
Les citernes à carburant : Plus largement conçues pour les installations de la Luftwaffe , elles trouvent ici leur place dans l'approvisionnement du V1 en fin de préparation. L'ouvrage se compose de deux citernes d'une capacité totale de 166 m 3 , réunis par une station de pompage permettant de délivrer le carburant en façade.
Le stockage de peroxyde : Plus original dans sa conception, il permet de stocker le T-Stoff indispensable au lancement. Conçu en trois compartiments dont les deux d'extrémité accueillent chacun une citerne en aluminium posée verticalement sur son axe, il totalise une contenance de 18 000 l . Ces citernes sont ceinturées d'une goulotte au sol pour drainer les éventuelles fuites vers un bassin de rétention. Le compartiment central permet une surveillance des deux citernes, notamment en partie supérieure, par deux encorbellements bétonnés.
Sur le reste du site sont dispersés quelques petits ouvrages à usage d'atelier ou de stockage double pour détonateurs.
B - Les stockages souterrains : L'utilisation d'une arme de saturation telle que le V1 suppose la mise en place d'une infrastructure d'approvisionnement sans faille. Dans un premier temps, les appareils sont regroupés en Allemagne dans les cinq Luftmunas ou dépôts centraux de la Luftwaffe. Ils traversent ensuite la frontière à raison d'un train de 40 wagons, soit 120 V1 par jour et par dépôt, en direction de la zone opérationnelle. Pour les accueillir, les Allemands ont programmé dès l'automne 1943, neuf Feldmulag ou dépôts avancés, nombre bientôt porté à 12, en parallèle à la construction des sites modifiés. Parfois, pour des difficultés de construction, mais plus souvent pour des raisons tactiques, certains de ces dépôts sont abandonnés avant même leur achèvement. C'est le cas en particulier d'Ytres-Etricourt, Saint-Maximin, Chanteloup, et bien sûr Bailleau, Mamers et Luché, en raison de l'avance alliée. Si l'on excepte Rilly-la-Montagne, dédié à l'approvisionnement des V1 destinés au largage par He 111, les sites de Nucourt,
mais surtout Saint-Leu-d'Esserent, achevés pour le 1 er juin, joueront un rôle important dans l'offensive.
Saint Leu d'Esserent : C'est donc dans les carrières de Saint-Leu-d'Esserent, exploitées depuis le milieu du XIIIe siècle pour leurs pierres de construction, que les Allemands décident d'installer un Feldmulag. Ce n'est pas une innovation en soi dans la mesure ou l'armée française y avait déjà stocké du matériel dans l'entre-deux guerres et qu'une chaîne de montage de chasseurs y fut même installée à la fin des années trente. Il est donc probable que les Allemands ont, si ce n'est récupéré, au moins bénéficié d'une partie de ces installations, de même qu'ils ont profité de la proximité des infrastructures routières et ferroviaires existantes. Une piste bétonnée desservant les deux bouches, celle dite du Couvent et celle dite St Christophe - Notre Dame est alors construite, ainsi que deux casemates pour en couvrir les approches . C'est en mars 1944 que l'abandon des Versorgungsstellen se fait au profit des Carrières de Saint-Leu, et d'une manière similaire, de Nucourt. Dès le 16 mai 1944 , les hommes du Fl. Rgt. 155 investissent les lieux dont l'aménagement définitif s'achève deux semaines plus tard. Un sens de circulation, balisé par des flèches de couleur est alors instauré. Sur un sol bétonné et le long de quais aménagés, la manutention des V1, mais aussi des composants, peut désormais se faire dans de bonnes conditions. Reprenant les fonctions des anciens Versorgungsstellen , ces installations n'ont pas pour seule vocation, le stockage, mais également le complément d'assemblage, voire la réparation des V1. Des locaux pour la ventilation et les transmissions sont construits, ainsi que des casernements pour le personnel. De même, les puits d'aérage sont renforcés et bien sûr, protégés. Bien qu'ils n'occupent que 160 000 m² sur les 521 500 m² que compte la carrière de Saint-Leu, les Allemands y stockeront jusqu'à 1500 V1 au plus fort de l'offensive. Les Alliés, qui ne parviennent pas à tarir l'approvisionnement des sites de tir ne suspectent l'existence de Saint-Leu que dans les derniers jours de juin. Ils entament dès le 27 une campagne de bombardement qui se poursuivra le 5 juillet, sans succès notable, puis la nuit du 7 au 8 juillet mais avec la perte de 32 Lancaster et 142 hommes d'équipage. Il faut attendre début août et une longue suite d'attaques pour que les Allemands réduisent le stock de V1 à 600 puis décident de ne plus entamer de réparations. Quelques jours plus tard, autant en raison de l'avance alliée que des dégâts infligés, le site est définitivement abandonné. Les quelques dizaines de V1 restant sont probablement regroupés en une sorte de fourneau que les Allemands font alors sauter avant de quitter les lieux. Jusqu'à l'apparition des nouveaux circuits d'approvisionnement, Saint-Leu a néanmoins largement joué son rôle, fournissant notamment 70% des V1 tirés au cours de juin.
En aval de ces Feldmulag , les Allemands avaient conçu un réseau de 32 stockages (un par batterie). Ils reprennent les neuf anciens Versorgungsstellen ainsi qu'un certain nombre d'installations du dispositif V2 reclassées auxquelles s'ajoutent de nouveaux souterrains aménagés. Souterrains à entrées multiples (10 à 13), ils sont conçus avec des couloirs d'accès bétonnés prévus pour être équipés de portes. L'implantation de ces stockages, en fonction de leur numéro de code permet de voir qu'ils ont en fait été établis au gré de l'évolution tactique du dispositif de lancement.